"Des réformes pour donner plus de moyens à nos CPAS et lutter contre toutes les formes de précarité dans notre société"

"Des réformes pour donner plus de moyens à nos CPAS et lutter contre toutes les formes de précarité dans notre société"
Entretien avec Alain Vaessen, directeur général de la Fédération des CPAS

En fin de législature, pour "boucler la boucle", le ministre des pouvoirs locaux, Christophe Collignon, nous a accordé une interview. Face aux difficultés et crises qui s'amoncellent, le ministre prône la simplification et lance diverses réformes et pistes, qui pourront donner plus de moyens aux pouvoirs locaux, mais également lutter contre toutes les formes de précarité de notre société.

Nous arrivons en fin de législature... Quelle expérience personnelle et professionnelle en tirez-vous?

C'est à la fois une expérience passionnante et astreignante. Passionnante car j'ai pu gérer des matières qui touchent directement la population dans leur quotidien. Mais c'est aussi astreignant car cela exige un investissement de tous les instants.

Vous êtes entré en fonction il y a environ 3 ans. Nous vous avions interrogé sur vos grands chantiers et ambitions. Quel bilan général tirez-vous de votre mandature?

On a tenté d'être soutenant vis-à-vis des acteurs de terrain et je veux souligner que sans le dynamisme des équipes municipales au sens large, on n'y serait pas arrivé.

Malgré tout cela, le bilan est plus que positif, rien qu'en logement nous avons investi plus de 2 milliards, du jamais vu!

Si vous deviez citer deux grandes mesures ou dossiers dont vous êtes particulièrement fier?

C'est une question compliquée car j'ai vraiment le sentiment que nous avons lancé beaucoup de programmes novateurs. La création de kots sociaux étudiants et l'allocation loyer.

La simplification administrative est aussi une priorité de cette législature...

Si on peut identifier une trame dans mon action, c'est celle relative à la simplification administrative. Aujourd'hui cette charge administrative fait non seulement perdre beaucoup de temps aux agents mais a aussi de réelles conséquences sur l'efficacité de nos mesures en faveur du citoyen. C'est pourquoi un paquet de mesures ont été prises dans l'unique but de simplifier et rendre plus efficace le travail de nos administrations locales.

Quel regard portez-vous sur les CPAS, leurs enjeux, leurs défis (pour l'avenir)?

Si on regarde un passé récent, que voit-on? Pandémie, inondations, crise des réfugiés, de l'énergie, crise inflationniste, le tout sur fond de défi budgétaire. Voilà de nombreux stress tests que les CPAS ont réussi haut la main, au bénéfice de la population la plus fragilisée. Je ne peux que rendre hommage à tous les acteurs qui ont fait face à tous ces défis, exceptionnels mais aussi structurels. Les difficultés d'aujourd'hui seront encore là demain.

Sur le plan financier, il me parait indispensable de revoir le taux de remboursement du revenu d'intégration (RI) car aujourd'hui, d'une part, on finance quasiment tous les CPAS de la même manière alors que les situations plus précaires ne sont pas assez prises en compte et, d'autre part, il est clair que le financement n'est plus en rapport avec les charges réelles.

Il faut donc ramener l'intégralité du financement du RI au niveau fédéral et ainsi rembourser les missions qui sont confiées par la loi aux CPAS.

Dans le même ordre d'idée, une réforme du mode de répartition du FSAS apparait incontournable. Actuellement, il existe de grandes disparités entre les CPAS. Il faudra revoir les critères de répartition pour assurer plus d'équité. À l'instar des moyens complémentaires que j'ai accordés (41,8 millions d'euros de 2022 à 2025), des critères  objectifs de charge devront être pris en compte tels que l'évolution dynamique du nombre de bénéficiaires du Rl, avec un ratio entre le nombre d'interventions et la taille de la population communale concernée, voire en fonction des revenus moyens par habitant.

Arrêtons-nous sur certains dossiers en particulier… En janvier 2023, entrait en vigueur le mécanisme de l'allocation d'attente logement pour les personnes en attente d'un logement social depuis plus de 18 mois. Après 9 mois d'application de la mesure, quels sont les premiers constats?

À l'heure actuelle, on peut déjà annoncer que plus de 3 150 ménages bénéficient de cette aide. Un budget conséquent de 21 millions d'euros a été alloué. Le SPW va prochainement réaliser une brochure à destination non seulement des communes et CPAS mais également des citoyens concernés.

La réforme RGB est considérée par d'aucuns comme une "réformette". Or, elle contient pas mal de petites avancées… Quel est votre regard, qu'avez-vous à mettre en avant?

Pour l'instant, seule la partie décrétale est connue. Cela vise les processus de recrutement et de promotion, le statut général du personnel, les outils et la mutualisation des ressources humaines entre les pouvoirs locaux ou encore la possibilité de rester en fonction au-delà de l'âge légal de la mise à la pension.

Par ailleurs une circulaire des principes généraux est en préparation, 30 ans après celle de 1994. Elle abordera notamment les thématiques des carrières, des congés, du développement de nouveaux titres de compétence, de la valorisation de l'ancienneté acquise dans le privé el de la mobilité du personnel entre pouvoirs locaux.

La réforme devrait aboutir, j'espère, en ce début d'année avec l'ambition de rendre la fonction publique plus attractive, plus souple el plus lisible. On est bien loin d'une réformette!

Et si vous aviez encore l’occasion de mener une prochaine réforme du personnel, quelles seraient vos priorités, pour quelle vision?

L'enjeu de la prochaine législature sera la question du coût des pensions. Outre l'aspect financier du dossier pension, implémenter une réforme structurelle sur la réduction du temps de travail sans perte de salaire, avec transmission de savoir telle que nous l'avons permise comme expérience pilote ne serait pas pour me déplaire!

Budget... Certains CPAS sont en difficultés financières. La Fédération des CPAS préconise pour la prochaine mandature une augmentation importante du Fonds spécial de l'aide sociale, ainsi qu'une révision des critères d'attribution. Quel est votre avis?

Il est devenu indispensable de financer de façon juste et équitable les CPAS et prévoir progressivement le financement intégral du revenu d'intégration sociale (RIS) par l'État fédéral. Les CPAS doivent faire face à un nombre accru de demandes d'aides sociales, particulièrement dans les grandes villes. Or les CPAS doivent les financer partiellement, créant ainsi une charge importante pour les communes paupérisées et une inégalité entre communes aisées et plus pauvres. À terme, l'intégralité du financement du RIS doit être assumée au niveau fédéral. En attendant, la Région devrait mettre en place un mécanisme de solidarité entre les CPAS permettant de répartir équitablement la part locale des RIS et ainsi rééquilibrer les charges financières entre communes plus pauvres et communes plus aisées.

Vous suivez sans doute le dossier "pensions" au fédéral… Quelle est votre analyse à cet égard car il pèse lourd dans les finances locales?

Il faut régler le problème des pensions. Le système actuel n'est plus viable. La seule voie de sortie est à chercher dans un principe d'équité: obtenir du futur Gouvernement le fait que les pensions des agents des pouvoirs locaux soient remises dans le pot global de la sécurité sociale comme le sont les pensions des agents des autres niveaux de pouvoir.

Vous avez parfois évoqué une volonté de mutualiser les dépenses des CPAS... Par quels moyens?

Cela s'inscrit dans une dynamique plus large, le raisonnement de fond étant le suivant: à quelle échelle de territoire puis-je rendre le service le plus efficient à la population? En ces temps de difficulté budgétaire, économie d'échelle et mutualisation de service ne sont pas des gros mots.

Il faudra à l'avenir approfondir les synergies ville - CPAS et oser s'engager dans une réflexion supracommunale.

Les CPAS sous "plan oxygène" font souvent remonter que les comités d'accompagnement sont contraignants. Quel est votre regard sur ce dispositif, et sur le rôle du CRAC dans ce cadre et plus largement?

Vous faites allusion au plan oxygène que j'ai mis en œuvre pour venir en aide aux communes les plus en difficulté.

Sans cette aide, de nombreuses communes n'auraient pu boucler leur budget. J'estime avoir été utile au moment T en apportant des réponses immédiates mais si on considère que les villes et communes sont le ciment de notre société, il faudra d'autres réformes.

Idéalement, elles devront venir du fédéral, qui devra mieux financer ses politiques, du régional, qui devra introduire des mécanismes correcteurs pour instaurer plus de solidarité entre communes et être plus discriminant vis-à-vis des communes qui rendent les services à la collectivité, des communes elles-mêmes qui devront faire leur propre autopsie.

Quant au comité d'accompagnement et suivi du CRAC, ils sont un mal nécessaire même si je reste convaincu que le dialogue doit toujours pouvoir avoir lieu.

Et si vous aviez une baguette magique pour les CPAS et leur avenir, positive bien entendu, quelle serait-elle? Quels sont vos vœux pour cette importante institution sociale, en ce début de nouvelle année?

L'indice de situation sociale de la Wallonie de 2023 (ISS), publié par l’IWEPS, montre qu'entre 2004 et 2021, la situation sociale globale s'est légèrement améliorée mais elle est allée de pair avec une augmentation des inégalités sociales.

Cela nous alerte sur une potentielle dégradation financière pour de nouveaux profils de personnes: indépendants, travailleurs à temps partiel, familles monoparentales, pensionnés, étudiants et jeunes qui entrent dans la vie active. Si j’avais celle baguette magique, je ferais disparaître la pauvreté et les CPAS pourraient se concentrer sur l’insertion, l'accompagnement social des usagers! De manière plus terre à terre, j’estime que les réformes évoquées pourront donner plus de moyens à nos CPAS, pour lutter contre toutes les formes de précarité dans notre société.

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