Interview de Christophe Collignon dans le Mouvement communal: «Winston Churchill disait qu’on ne gaspille jamais une bonne crise»

Interview de Christophe Collignon dans le Mouvement communal:  «Winston Churchill disait qu’on ne gaspille jamais une bonne crise»
Dans une interview accordée au Mouvement communal, le ministre wallon Christophe Collignon tire un bref bilan de la mandature en évoquant de nombreux sujets essentiels pour les villes et communes wallonnes: blues des élus, paysage institutionnel intra francophone, supracommunalité, financement des zones de secours, neutralité budgétaire, droit de tirage, e-Gouvernement, logement public, et bien d’autres matières encore.

Le Mouvement communal est une revue destinée aux décideurs qui veulent contribuer de façon active à la gestion de leur commune. Soucieux de bien informer et d’épauler les gestionnaires communaux dans la réalisation de leur mission, l’Union des Villes et Communes de Wallonie (UVCW) adresse gratuitement cet outil à tous les membres des collèges communaux ainsi qu’aux directeurs généraux. Les CPAS et les intercommunales reçoivent également un exemplaire gratuit du Mouvement communal. Des exemplaires peuvent aussi être commandés par courriel à odb@uvcw.be ou par téléphone au 081 24 06 01.

MC-CC-PAGE-.jpg

Monsieur le Ministre, pourriez-vous tirer un rapide bilan de la législature qui se termine dans quelques mois?

"Cette législature fut fort mouvementée à cause des différentes crises que la collectivité a dû surmonter, mais le Gouvernement n’a pas à rougir de son travail face à celles-ci. Nous avons tenté d’être soutenants et je veux souligner que, sans les pouvoirs locaux, nous n’y serions pas arrivés. Les équipes municipales ont été soumises à rude épreuve, mais elles ont répondu présentes. Malgré cette législature chahutée, je crois que le bilan est plutôt satisfaisant. Nous avons dégagé beaucoup de moyens, notamment plus de deux milliards d’euros pour le logement, même si je suis conscient, qu’à terme, il faudra mettre en place des réformes plus importantes."

Les résultats de l’enquête «Blues des élus» de l’UVCW constituent un reflet direct de cette période. En avez-vous pris connaissance?

"Oui, et les résultats ne m’ont pas du tout étonné puisque j’avais été, moi-même, quelques mois auparavant, à la rencontre des municipalistes pendant notre opération «Ambitions communes». Le but était alors de les écouter et de récolter leur ressenti. J’ai effectivement ressenti une certaine lassitude chez les mandataires. On a essayé d’identifier les points de tension, notamment la responsabilité croissante, la complexification des matières, et le sous-effectif en termes de personnel dans certaines communes, particulièrement les plus petites. Pour les municipalistes, il y a la délicate et difficile question de la gestion des réseaux sociaux, l’immédiateté qu’on peut ressentir lorsqu’on est gestionnaire communal. La situation m’inquiète, car les villes et communes constituent le cœur de la démocratie et de la cohésion sociale. Pour nous, ce sont des opérateurs de développement extrêmement importants pour l’avenir de la Wallonie."

En ce qui concerne les réseaux sociaux, pensez-vous que des solutions soient possibles?

"Oui, car il faut absolument que cette pression constante soit endiguée, même si elle dépend beaucoup, malheureusement, de décisions fédérales. Concernant les réseaux sociaux, j’ai notamment pris l’initiative d’écrire au ministre de la Justice et au Collège des procureurs généraux, parce que je crois qu’il faut sortir de l’impunité. La liberté d’expression est évidemment un sacro-saint principe dans une société démocratique, mais elle a ses limites. La solution est à mon sens jurisprudentielle, en cessant son assimilation à un délit de presse nécessitant la tenue d’une cour d’assises. Il faut pouvoir donner un signal d’apaisement à ce propos."

La dernière fois que le Mouvement communal vous a rencontré, et le Conseil d’administration de l’UVCW par la même occasion, vous avez rappelé votre attachement à repenser le paysage institutionnel intra francophone. Pensez-vous qu’une réflexion plus large sur l’ensemble de ce schéma soit nécessaire afin de rendre le service public plus efficient?

"Je suis pour une réforme, oui, mais pas pour se faire plaisir. Le tout est de déterminer à quelle échelle de pouvoir et à quelle échelle territoriale, on peut rendre le service le plus efficace au citoyen. Pour moi, deux principes doivent nous guider dans cette tâche. Le premier, qui n’est pas rencontré aujourd’hui, est le principe de lisibilité pour nos concitoyens. Je pense que c’est toujours aussi compliqué de s’y retrouver dans nos institutions. Le deuxième principe concerne l’efficience. Quand on gère des deniers publics, il faut éviter les doublons, il faut essayer de réaliser des économies d’échelle et de viser l’efficience."

D’où votre intérêt particulier pour la supracommunalité…

"En effet, je suis convaincu que c’est une des solutions pour rendre un meilleur service aux citoyens parce qu’elle existe déjà sur le terrain. La supracommunalité est un concept qui n’est cependant pas totalement défini. Et, pour moi, demain, il faut qu’elle soit plus institutionnelle. Une ville pôle a souvent un centre culturel, des infrastructures sportives, une piscine, qui peuvent profiter à tout le monde. Je crois qu’on doit pouvoir s’organiser, pas nécessairement sur l’investissement, mais plutôt par rapport aux coûts de fonctionnement des services qu’on veut apporter à la collectivité. Psychologiquement, la supracommunalité est plus simple à appréhender que la fusion. Tout le monde est attaché à son village, mais ce n’est pas exclusif d’une fusion volontaire entre communes à terme. Quand on est habitué à travailler ensemble, alors, on apprend à se connaître et on fait des projets ensemble. Et de facto, les craintes du départ s’effacent."

Vous évoquez ici la fusion volontaire des communes. Quel est votre avis sur l’évolution de cette réforme? Avez-vous trouvé les communes trop frileuses? Vous attendiez-vous à de meilleurs résultats?

"Cela ne m’a pas étonné outre mesure qu’il y ait peu de candidats. Il faut un contexte optimal pour mettre en place une fusion. Certains évoquent encore la fusion des communes de 1976, c’est dire si le sujet est très compliqué à mettre en place. Le décret est intéressant parce qu’il y a des incitants. Mais, j’ai choisi la voie de la concertation, cela doit rester un rapprochement volontaire. Le dispositif vaut pour 2030 et il est donc toujours valide. Les expériences supracommunales permettront peut-être des fusions à l’avenir. Je ne suis, en tout cas, pas favorable au fait que la fusion devienne obligatoire. L’UVCW a des idées précises et concrètes au sujet des réformes institutionnelles, qui ont d’ailleurs été rédigées dans un récent mémorandum en vue des élections. J’aimerais, à ce propos, connaître votre avis sur l’avenir des provinces… Si on a confié aux provinces, comme vous le savez, la mission de s’impliquer dans les zones de secours et de soulager quelque peu les trésoreries communales, la balle est désormais dans le camp des provinces, tout simplement. Je pense que les provinces doivent saisir cette opportunité, s’impliquer davantage dans les zones de secours, mais il faut alors, aussi, que les communes jouent le jeu. Les provinces doivent donc avoir plus leur mot à dire dans les sphères de décision, pour s’investir davantage dans cet effet de mutualisation, de meilleur service vis-à-vis des communes."

À ce propos, comment voyez-vous l’avenir du financement des zones de secours?

"Je suis confiant par rapport à l’avenir des zones de secours, bien que je pense qu’il faut rationaliser leur nombre et que la Région peut encore faire quelques propositions dans ce dossier. Mais, je le redis: l’implication des provinces dans les zones de secours est une voie à la fois intéressante et essentielle. On offre aux provinces la possibilité de s’investir dans une activité qui est extrêmement utile à la société et, en même temps, soulager les finances communales."

Avez-vous d’autres pistes pour alléger la charge des communes en cette matière?

"Oui, je travaille actuellement sur une autre source de financement possible, que j’ai d’ailleurs souvent évoquée: faire intervenir les assurances dans le financement, parce qu’elles ont intérêt à ce qu’il y ait moins d’incendies. Ces dernières ne sont pas nécessairement rétives à la démarche. Je pense aussi aux activités à risques, comme les usines Seveso, qui doivent aussi intervenir dans le financement global des zones."

L’UVCW plaide en permanence pour la neutralité financière au niveau local, émanant des autres niveaux de pouvoir. Quel est votre avis à ce sujet?

"La Wallonie a été, je pense, très soutenante financièrement pour les pouvoirs locaux, ces dernières années. Je pense notamment au Fonds des communes qui, entre 2019 et 2023, a augmenté de plus de 26 %. Le principe de neutralité est d’ailleurs inscrit dans la DPR, et l’accord de gouvernement. Convenons cependant que la plupart des difficultés émanent cependant des surcoûts qu’a imposés le Fédéral. J’ai, pour ma part, tenté de faire passer le message de la neutralité budgétaire au fédéral. Mais ce n’est pas évident. Pour moi, le principal dossier que l’on doit défendre dans le futur, ce sera en tout cas la priorité de mon parti au niveau du futur gouvernement fédéral, c’est de régler le problème des pensions. Le système actuel n’est plus viable. La seule voie de sortie est à chercher dans un principe d’équité : obtenir du futur gouvernement le fait que les pensions des agents des pouvoirs locaux soient remises dans le pot global de la sécurité sociale, comme le sont les pensions des agents des autres niveaux de pouvoir."

Êtes-vous néanmoins confiant en l’avenir financier des villes et communes?

"On n’a pas le choix si on considère que les villes et communes sont le ciment de la démocratie. Je pense avoir démontré, dans tout ce que j’ai fait, que j’étais volontariste, mais aussi pragmatique. Selon Léon Gambetta, homme d’État français, la politique, c’est l’art du possible. Tout ce que j’ai essayé de faire, c’est d’être utile au moment T et d’apporter des réponses immédiates. Demain, les villes et communes devront faire preuve d’encore plus de courage, c’est certain. Mais, pour moi, il est aussi nécessaire d’obtenir des réformes en Wallonie, car on ne peut pas dire que toutes les communes soient logées à la même enseigne. Certaines rencontrent des difficultés plus prégnantes que d’autres, et donc, quelque part, il faut aussi plus de solidarité entre elles. Je pense que les communes sont prêtes à entrer dans ce cycle de réformes et à faire leur propre autopsie. Mais, pour mon parti politique, les pouvoirs locaux sont une priorité dans tous les gouvernements, en ce compris le Fédéral. Nous exigerons donc des réformes utiles aux pouvoirs locaux partout où cela sera possible."

Vous avez souvent dit qu’il faut pouvoir laisser des marges d’investissement aux villes et communes. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

"Les villes et communes sont, pour moi, des éléments moteurs en termes de redéploiement socioéconomique, mais aussi en termes de cohésion sociale. Lorsque vous instaurez de la mixité dans un quartier, lorsque vous améliorez le cadre de vie, vous évitez de concentrer les problèmes. Pour atteindre une société inclusive, l’autorité doit donc s’investir et donner des moyens aux communes. C’est ce que j’ai tenté de faire dans la politique des grandes villes, avec un droit de tirage encadré, ou encore dans le développement urbain pour les villes moyennes. J’ai aussi pu dégager des moyens, dans le Plan de relance, pour donner du souffle à la ruralité grâce à l’opération «Cœur de Village», qui a extrêmement bien fonctionné."

Dans son récent mémorandum, l’UVCW prône à nouveau pour un droit de tirage généralisé. Quel est votre avis à ce sujet?

"Tout d’abord, je pense que toutes les législatures ne seront pas aussi prolifiques en matière d’appel à projets… Il n’y aura pas, à chaque mandature, un ambitieux plan de relance. Un droit de tirage généralisé n’est pas, pour moi, la panacée, car ce sera a fortiori basé sur le critère population et ne sera pas favorable aux plus petites communes qui ne pourront plus mener de projet ambitieux. Je suis plutôt pour trouver un point d’équilibre entre droit de tirage, qui permet aux communes d’avoir de la prévisibilité, et appel à projets qui permet au Gouvernement d’impulser certaines politiques. Et c’est ce que nous avons tenté de faire dans la politique intégrée de la ville et le développement urbain, qui sont des droits de tirage encadrés."

Concernant ce nouveau dispositif en matière de développement urbain, quels en sont les objectifs et quels moyens vont être dégagés? Quel est l’accompagnement envisagé pour aider les communes à avancer dans ce cadre?

"C’est encore un jeune dispositif qui, comme tous les nouveaux dispositifs, devra être appréhendé. Nous y avons consacré des moyens importants: 120 millions d’euros en quatre ans. L’objectif est de permettre aux villes et communes de modifier leur tissu urbain, d’améliorer le cadre de vie avec une procédure simple. Je n’y vois que des avantages et, sauf erreur, tous les avis qui m’ont été rendus ont été positifs. Dans ce cadre, on doit accompagner le plus possible les communes et je compte sur l’administration régionale pour ce faire. J’attends de l’administration qu’elle soit encore plus accompagnante, au profit du développement des villes et communes."

Pourriez-vous nous donner votre avis quant à l’attractivité de la fonction publique locale?  À ce propos, quel bilan tirez-vous de l’opération «Ambitions communes», évoquée plus haut et menée auprès des villes et communes de moins de 12 000 habitants? Qu’en retenez-vous et quels éléments avez-vous mis en place pour répondre aux éléments soulevés par les bourgmestres pour garantir des ressources humaines modernes et agiles?

"L’opération «Ambitions communes » m’a permis de rencontrer des responsables communaux, et plus particulièrement ceux des communes rurales. L’idée était de cibler quelques objectifs et de co-construire des dispositifs ensemble. Le bilan est extrêmement positif: nous avons rencontré des centaines de mandataires et de fonctionnaires communaux et sommes allés au bout de la démarche. J’ai en effet écouté ce qu’ils avaient à me dire. L’objectif sera donc de modifier la RGB, qui date de 1994, qui était nécessaire à l’époque, mais qui est rigide et compliquée pour le fonctionnement in concreto d’une commune. Je veux valoriser les compétences, décloisonner pour plus de mutabilité, mais aussi donner plus de souplesse pour les fonctions critiques. Certains métiers doivent en effet être payés à la hauteur de la prestation."

Comment pourrait-on, selon vous, mettre, mieux encore, l’e-Gouvernement au service des pouvoirs locaux, notamment en ce qui concerne la cybersécurité ?

"La digitalisation nécessite qu’on y consacre des moyens. Lors de cette législature, quarante millions d’euros ont été affectés à cette politique. Cependant, il y a effectivement un point de tension en matière de cybersécurité. J’y suis extrêmement sensible. J’ai d’ailleurs demandé à l’intercommunale iMio d’accompagner les communes dans différents process d’amélioration. Aujourd’hui, ce sont les grandes villes qui sont les plus atteintes par les cyberattaques. Mais, demain, il n’est pas exclu que tout le monde soit atteint. Les problèmes viennent souvent d’erreurs humaines. Nous avons donc mis en place un cycle de formation, mais je pense qu’il faudra encore accentuer ces projets lors de la prochaine mandature, parce que c’est un véritable danger qui guette l’ensemble des institutions publiques. Le plan de rénovation des logements sociaux que vous avez initié, en injectant plus de 800 millions de subsides auprès des SLSP, était une ambition forte de la législature pour le Gouvernement wallon. La pénurie de matériaux et la raréfaction de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction font cependant exploser les coûts du plan de rénovation dans toutes les SLSP."

Malgré les assouplissements annoncés, pensez-vous l’objectif encore réalisable? Les surcoûts observés actuellement, au stade de l’adjudication, ne font-ils pas planer une nouvelle ombre sur l’équilibre financier des SLSP?

"Nous avons consacré, au total, plus de deux milliards d’euros pour le logement pour faire face à une véritable crise du secteur. Avec mes équipes, j’ai essayé d’être le plus proactif possible. Le plan de rénovation a été conçu avant la crise énergétique. Il visait à rénover un quart du parc public, c’était particulièrement ambitieux. L’objectif de ce plan était triple  : faire face au défi climatique, isoler un maximum de logements pour donner un peu de bien-être au locataire et lui rendre du pouvoir d’achat. Je me suis opposé, dans ce but, à une augmentation de loyer. Et enfin, troisième objectif, faire travailler le secteur en concevant des marchés publics qui retiennent l’attention des entreprises issues de notre tissu. Malheureusement, la crise énergétique a eu pour conséquence d’augmenter le coût des matériaux. Face à cela, on a essayé d’être pragmatique en revoyant notre ambition à 20 000 logements et en augmentant les taux de subsidiation. Je reste à l’écoute des SLSP dans leur difficulté au quotidien. Mais j’ai le sentiment que, désormais, tout est sous maîtrise et donc, je crois que nous allons atteindre l’objectif."

La fin de la législature est marquée par la réforme du Code wallon de l’habitat durable, qui vient d’être adoptée par le Parlement wallon. Comment voyez-vous le développement des opérations dites de mixité sociale? Pensez-vous que les SLSP puissent amplifier leur rôle d’opérateurs immobiliers publics dans ce cadre?

"Le logement public doit pouvoir s’ouvrir à d’autres catégories plus larges de la population, telles que les jeunes ménages et/ou les pensionnés. Il faut permettre aux sociétés de logement d’accueillir ce public, leur permettre aussi d’avoir des recettes complémentaires qui seront réaffectées prioritairement à leur mission sociale. À l’avenir, je souhaite en effet qu’elles amplifient leur rôle d’opérateurs immobiliers publics."

Quel sera votre mot de conclusion?

"Malheureusement, les nuages s’amoncellent dans le ciel des pouvoirs locaux. Mais, c’est souvent lorsqu’on rencontre des difficultés qu’on trouve de nouvelles opportunités. Winston Churchill disait qu’on ne gaspille jamais une bonne crise. Ministre des Pouvoirs locaux, c’est une très belle fonction, surtout pour quelqu’un qui, comme moi, est profondément municipaliste. Je pense avoir enclenché, en tout cas, une philosophie qui – je l’espère – que ce soit moi ou un autre à l’avenir, pourra perdurer dans le futur…"

Retour aux actualités